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121. (1824) Notice sur le Tartuffe pp. 91-146

Il est plus naturel de penser qu’il s’y rendit sans peine, et qu’il n’eut l’air de s’en défendre que pour ne pas compromettre la délicatesse de son goût ; et, si dans le fait il avait peu de penchant pour un genre indigne de ses hautes conceptions comiques et de la pureté de son école, il n’était pas fâché de traduire sur la scène le libertin effronté qui se joue de toutes les lois divines et humaines, avant d’y exposer le libertin hypocrite qui invoque sans cesse le ciel pour satisfaire les plus honteuses passions. […] Molière n’épargna ni peines ni soins pour la conservation d’un ouvrage dont il sentait tout le prix, et qui lui devenait d’autant plus cher qu’il lui avait causé plus de chagrins. […] En fidèle sujet, il va trouver son roi, Et l’instruit d’un secret qui le tire de peine : Mais, parce qu’il commence à nuire sur la scène, Pour l’en faire sortir, cet auteur sans raison Fait commander au roi qu’on le mène en prison ; Et, contre son devoir, quoi qu’Orgon ait pu faire, Et sachant ce secret, quoiqu’il ait su s’en taire, Qu’il ait blessé par là l’auguste majesté, Il triomphe, bien loin d’en être inquiété. […] Il sait que les choses défendues irritent le désir, et il sacrifie hautement à ses intérêts tous les devoirs de la piété ; c’est ce qui lui fait porter avec audace la main au sanctuaire, et il n’est point honteux de lasser tous les jours la patience d’une grande reine qui est continuellement en peine de faire réformer ou supprimer ses ouvrages. » Qui ne reconnaît à ces derniers mots la noirceur des tartufes de dévotion ?

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