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102. (1746) Notices des pièces de Molière (1661-1665) [Histoire du théâtre français, tome IX] pp. -369

Il fallait donc encore une fois lier les scènes détachées à une action où à un motif, et c’était là la difficulté ; mais comme rien n’intéresse davantage que la passion de l’amour, et qu’elle est plus à la portée des spectateurs que toute autre, c’est aussi sur cette passion que Molière a fait rouler son action, son intrigue, et son dénouement. […] Permettons à chacun d’en rire ; Défendons à tous d’en médire, Et déclarons que son auteur, Dans son style a de la douceur, De la netteté, de la grâce, Qu’avec tant de nature il trace Les sujets, et les passions, Et débite des mots si bons, Qu’un esprit bien fait, quoiqu’on die, Doit admirer sa comédie, Et le prendre, tout bien compté Pour Térence ressuscité, Commandons à tous les poètes, D’être fidèles interprètes De l’École, et de sa beauté : D’en dire bien la vérité, Et d’en parler en conscience. […] « Le goût, la finesse du sentiment naturel et de la vraisemblance se trouvent dans l’économie de ce dénouement : les égards du sexe et du rang, la délicatesse du cœur, et toutes les bienséances y sont marquées avec un art que l’on ne peut trop admirer ; ainsi, malgré les difficultés qu’il y avait à surmonter, Molière a rendu ce dénouement excellent, de défectueux qu’il était dans l’original. » « [*]Je ne sais si l’on peut citer une fable dont le fonds soit plus excellent que celui de La Princesse d’Élide : le caractère est beau et noble : les motifs sont naturels et puisés dans le sentiment ; les moyens et les passages, ingénieux et simples ; les degrés des passions sont traités avec toutes les nuances et toute la vraisemblance possible, et l’art y est fin et caché tout ensemble. […] Cependant, le prince, malgré le dessein qu’il a de cacher son amour, profite des circonstances pour déclarer sa passion, et il le fait avec tant de vivacité, et d’une façon si vraie, que la princesse, persuadée qu’il l’aime réellement, le rebute avec hauteur. […] Ensuite, comme il fallait nécessairement que ces cinq actes fussent courts, et par conséquent qu’il pressât le mouvement de l’action, il précipite sur la scène les progrès de la passion, mais dans l’intervalle des actes, c’est-à-dire pendant les intermèdes, il fait toujours marcher l’action, et instruit le spectateur par des scènes particulières ; telle est la première du troisième acte, dans laquelle deux femmes de la princesse s’entretiennent de la scène du chant, dont nous venons de parler, et qui s’est passée dans l’entracte ; l’économie dont Molière s’est servi dans cette pièce était doublement nécessaire puisqu’il fallait non seulement amener quelque incident dans les entractes qui augmentât la passion, mais qu’il fallait encore que l’obligation dans laquelle il était de resserrer son action ne fît aucun tort sensible, ni au mouvement naturel de la passion, ni à ses progrès.

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