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107. (1886) Molière, l’homme et le comédien (Revue des deux mondes) pp. 796-834

Molière eut bien à se défendre contre un accès de vanité de Chapelle, qui allait répétant que lui, Chapelle, avait fait le meilleur des Fâcheux ; il dut souvent chapitrer son ami, pour lequel les parties de débauche n’étaient point des accidens, mais une règle de conduite. […] Aux « parties » de la Croix de Lorraine, Molière préférait sans doute ces réunions, moins nombreuses et plus calmes, où se trouvaient, avec lui, Boileau, Racine et La Fontaine. […] La preuve, c’est qu’en signant un contrat d’association avec ses premiers camarades, il se réservait « les héros, » c’est-à-dire les grands rôles tragiques ; peut-être même faut-il en partie rapporter à ce choix l’insuccès de l’l’Illustre Théâtre à Paris. […] Le résultat de ses efforts était une justesse d’ensemble, dont Segrais disait : « On a vu par son moyen ce qui ne s’étoit pas encore vu et ce qui ne se verra jamais : c’est une troupe accomplie de comédiens, formée de sa main, dont il étoit l’âme, et qui ne peut avoir de pareille, »Segrais se trompait en partie ; la tradition de Molière devait rester l’Âme d’une troupe qui, survivant à son chef et toujours renouvelée, n’a cessé de la suivre en la rajeunissant. […] Ces maîtres du théâtre considéraient toutes les parties : poème, diction, action, comme inséparables ; leurs œuvres, réduites au livre, leur semblaient mortes ; enfin, au prix de la gloire journalière et directe qu’ils trouvaient sur la scène, de la joie qu’ils éprouvaient à voir leurs créations marcher et parler sous leurs yeux, à les incarner eux-mêmes, la gloire et la joie d’en prolonger la vie par le livre ne leur semblaient pas valoir le temps qu’elles auraient pris à leur occupation maîtresse.

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