On cite souvent telle scène du Misanthrope, entre Alceste et Célimène ; mais on semble trop oublier que ces mêmes vers et ces mêmes couplets où la passion parle toute pure, Molière les a sauvés, totideni verbis, du naufrage de Don Garcie de Navarre qui fut représenté pour la première fois le 4 février 1661, c’est-à-dire un an avant le mariage de Molière. […] Elle eut donc certainement des torts : mais on doit dire aussi que dans cette maison facile où Madeleine Béjart continuait de gouverner la dépense et de régler l’ordinaire, sous ce toit où Mlle de Brie habitait, dont l’humeur accommodante et l’affection banale, mais toujours fidèle, étaient depuis tantôt quinze ou vingt ans en possession de consoler le maître du logis, dans ce ménage enfin où le mari, s’il apportait la gloire, — une gloire à cette époque encore vivement contestée, ne l’oublions pas, — apportait aussi ses quarante ans sonnés, les préoccupations irritantes, les impatiences nerveuses, renouvelées tous les jours, de son triple métier d’acteur, de directeur d’une troupe difficile à conduire, et d’auteur ; il n’est pas étonnant qu’une femme jeune, aimable, coquette, mais de petit jugement, si l’on veut, et d’humeur indépendante, ait mal supporté des froissements d’amour-propre, et les exigences d’une affection plus passionnée que raisonnée sans doute, plus ardente que tendre et protectrice, et, pour tout dire, très probablement mêlée d’un peu de ce mépris de l’homme pour la femme qui l’attire et le retient malgré lui. […] Il n’a pas eu conscience de ce qui a fait quelque temps son succès ; et d’ailleurs la pièce a été bien vite oubliée : on n’en a pas senti la nouveauté. […] Jésuites ou jansénistes, ils se sentirent tous également atteints ; et c’est ce qu’oublient ceux qui ne veulent voir encore aujourd’hui dans Tartufe qu’une machine dirigée contre Port-Royal : que personne n’en fut plus indigné, ni ne traduisit plus éloquemment la douloureuse indignation de tous les « vrais dévots », que Bourdaloue, dans son Sermon sur l’hypocrisie. […] Mais en revanche il serait injuste d’oublier que pareille incohérence se retrouve, — à un moindre degré sans doute — mais enfin de retrouver sous la plume des meilleurs écrivains du XVIIe siècle.