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141. (1879) Les comédiennes de Molière pp. 1-179

On n’a pas mis moins de six graveurs h cette œuvre délicate ; on leur a moins recommandé d’être brillants que d’être fidèles. […] Les premiers vers de Molière ne valaient pas beaucoup mieux que ceux de sa maîtresse, témoin ces stances à Madeleine qui ont été recueillies dans ses œuvres : Souffrez qu’Amour cette nuit vous réveille, Par mes soupirs laissez-vous enflammer ; Vous dormez trop, adorable merveille, Car c’est dormir que de ne point aimer. […] Mais, puisque Molière était content de Du Croisy, c’est que Du Croisy mit en scène et en œuvre l’idée de Molière. […] Ce fut lui qui publia la première édition des œuvres du maître, une édition digne de cette renommée, mais on lui reproche, non sans quelques raisons, d’avoir eu sous la main tous les papiers de Molière, manuscrits, lettres, poésies, — des autographes qu’on paierait aujourd’hui un million — et de ne les avoir pas transmis en mains loyales. […] Il sortit donc de Paris avec sa femme et ses enfants, lui cinquième, en compagnie d’un petit âne tout chargé de ses œuvres, pour aller chercher fortune en Languedoc, où il fut reçu dans une troupe de comédiens qui avait besoin d’un homme pour faire un personnage de Suisse, où, quoique son rôle fût tout au plus de quatre vers, il s’en acquitta si bien, qu’en moins d’un an il acquit la réputation du plus méchant comédien du monde, de sorte que les comédiens ne sachant à quoi l’employer, le voulurent faire moucheur de chandelles ; mais il ne voulut point accepter cette condition, comme répugnante à l’honneur et à la qualité de poète ; depuis, ne pouvant résister à la force de ses destins, je l’ai vu avec une autre troupe, mouchant les chandelles fort proprement.

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