Et pourtant Rosine est une fille noble, Isidore est une esclave ; Rosine est volée par son tuteur, Isidore est l’obligée de don Pèdre : Rosine pourrait être beaucoup plus intéressante qu’Isidore, et qu’il a fallu être un grand rustre et un malappris pour avoir fait une pareille coureuse de Rosine ! […] Quelle bouillante colère devait fermenter dans le cœur de cet éloquent proscrit de l’univers civilisé, quand il se comparait à Alceste, lui, l’ardent génie et le sophiste convaincu, lui le persécuté de la foule, le calomnié des philosophes, l’homme sans pain, l’amoureux tremblant de tant de belles dames qui n’avaient pour ses amours ni un regard, ni un sourire ; lui, le mari ou plutôt le domestique d’une ignoble servante, à quel point la rage le devait prendre, ce misanthrope, obligé de vivre du travail de ses mains, comparé à cet heureux Misanthrope de Molière, estimé de tous, noble et beau, si brave et si riche, si regretté par cette belle Célimène qui l’abandonne, si aimé par cette douce Éliante qu’il dédaigne ! […] Et notez bien que, non content d’être un bon jeune homme sans façon, parlant comme tout le monde, entrant dans un salon comme vous et moi nous y pourrions entrer, vêtu à la diable, empêtré dans ses dentelles d’emprunt, gêné dans son habit de louage qui craquait de toutes parts, haut perché et portant une perruque aussi mal peignée que des cheveux naturels, notre débutant, pour mieux entrer dans l’esprit de son rôle, se croyait encore obligé de forcer sa nature bourgeoise, de vulgariser son geste, de se faire bonhomme et brusque plus encore qu’il ne l’est d’ordinaire ! […] On ne fait pas un paysage, on ne fait pas un journal avec un éclair ; l’éloquence, au milieu de nos grands papiers, ressemblerait à cette dame patricienne obligée, un jour de fête, de danser avec des affranchis.