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15. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE XI. De la Religion. Principe et Sanction de la Morale de Molière. » pp. 217-240

Il n’y a, dans aucune autre comédie, la moindre trace de christianisme ni même de religion naturelle ; et, bien qu’on puisse dire avec raison : Nunc non erat his locus 791, c’est peut-être encore un des motifs de la sévérité de Bossuet792. […] La morale naturelle est celle que chacun peut tirer de soi : morale de création divine comme nous-mêmes, qui existe essentiellement en nous tous, qui dit secrètement au cœur de chacun ce qui est bien ou mal ; lumière universelle, plus ou moins affaiblie çà et là, mais jamais éteinte ; dont les préceptes sont appuyés en chacun par le sentiment, par la raison morale, par l’opinion commune, par l’idée plus ou moins prochaine de Dieu : en un mot naturelle, c’est-à-dire fondée sur la nature que Dieu créateur nous a imposée formellement ; dont les règles immuables sont connues par l’observation de nous-mêmes ; dont la pratique est commandée par le sens moral et la conscience, et dont l’éternelle valeur, en dehors de toute révélation, est corroborée, chez les peuples chrétiens, par l’influence latente et générale du christianisme même sur les esprits qui lui sont en apparence rebelles. Cette morale naturelle, non chrétienne d’intention, mais de fait, car le christianisme n’a fait qu’en affirmer d’une manière absolue les principes plus ou moins indécis ; cette morale naturelle, dis-je, est la morale de Molière. […] Cette morale naturelle est nécessairement liée à l’idée de Dieu : elle ne va point sans religion, et quoique la morale de Molière ne parle guère de Dieu ni de religion, elle ne peut être confondue avec la morale que certaines gens appellent orgueilleusement indépendante 801 ; car, au fond, elle n’est morale, c’est-à-dire règle, que parce qu’elle est infuse en notre nature par la puissance divine, et elle n’est définie que parce que nous avons l’idée du bien, inséparable de l’idée de Dieu. […] II est donc compréhensible que Dieu créateur, qui a permis que les caractères de la loi naturelle pussent être à demi effacés dans les âmes, leur rende cette loi formulée par la religion, avec une promesse et une menace qui fasse le devoir plus clair aux bons, et les méchants plus inexcusables.

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