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91. (1886) Molière : nouvelles controverses sur sa vie et sa famille pp. -131

si ce caractère est une énigme, ce que, pour mon humble part, je ne saurais admettre3, il n’est pas mal, pour voir clair dans ces ténèbres, d’étudier d’abord le caractère même de Molière et la situation morale où il se trouvait quand il conçut son personnage. […] Quelle est au juste la valeur morale de cette action, et faut-il y voir un trait de piété filiale, celui d’un fils qui, connaissant l’embarras de son père, avec lequel il est brouillé, et voulant ménager sa susceptibilité, vient délicatement à son secours en se dissimulant sous le nom d’un tiers ? […] Dans cet effondrement général, les principes eux-mêmes fléchissent : la morale et la religion s’égarent et s’oblitèrent au milieu de toutes sortes de subtilités et de distinctions, et l’indulgente casuistique des jésuites vient en aide a la démoralisation publique. Une réaction était inévitable : elle trouva son expression la plus prononcée, sa formule caractéristique, suprême, excessive même, dans le jansénisme, dont je n’ai point ici a apprécier l’étroitesse au point de vue purement doctrinal, mais dont l’austère morale fut un salutaire refuge pour les âmes honnêtes. […] A vingt-neuf ans, j’ai tout épuisé ; il ne me reste plus qu’à devenir bien vraiment égoïste. » Voici ce que cet homme, si peu indulgent pour la nature humaine et pour ses faiblesses, pensait de Philinte : « Le véritable Philinte de Molière n’est pas sans doute, comme le misanthrope Alceste, un Don Quichotte de vertu et de philanthropie ; il ne se croit pas obligé de rompre en visière aux gens pour des vers bons ou mauvais ; il connaît assez les maladies incurables des hommes pour savoir que la franchise, placée mal à propos, peut souvent faire beaucoup de mal en irritant gratuitement les passions ; en un mot, c’est un homme raisonnable, honnête, de bonne compagnie, et incapable de la moindre action ou du moindre discours qui blesserait la morale ou la délicatesse.

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