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45. (1821) Notices des œuvres de Molière (VI) : Le Tartuffe ; Amphitryon pp. 191-366

Notice historique et littéraire sur Le Tartuffe Le Tartuffe n’est pas seulement un chef-d’œuvre, le chef-d’œuvre peut-être de la scène comique : ce fut aussi un événement mémorable qui agita et divisa l’opinion ; où prirent parti les différentes puissances qui dominent la société ; où l’activité persévérante et courageuse d’un homme eut à lutter, pendant plusieurs années, contre des obstacles, que lui opposaient la magistrature et le sacerdoce ; où le monarque le plus absolu fut longtemps indécis entre les plaintes d’un poète et les alarmes de la religion, entre les penchants de son esprit et les scrupules de sa conscience, et dont enfin l’issue, favorable au théâtre, a eu sur la morale publique une influence qu’on peut qualifier diversement, mais que tout le monde est forcé de reconnaître. […] Ménage, qu’on trouve toujours prenant le parti de Molière, quoiqu’il ait eu plus d’une fois à se plaindre de lui, Ménage ne craignit pas de déclarer à M. de Lamoignon que Le Tartuffe était une pièce dont la morale était excellente , et qu’elle ne contenait rien dont le public ne pût faire grandement son profit. […] Du reste, les intentions les plus fines du poète et les beautés les plus délicates de son ouvrage sont dévoilées et rendues sensibles avec une complaisance non moins habile qu’officieuse, et la partie morale du sujet est défendue avec une vivacité quelquefois passionnée qui décèle un grand fonds de bienveillance pour Molière, ou de malin vouloir contre ses ennemis. […] Molière était un parfaitement honnête homme ; mais sa probité ne s’appuyait pas sur les croyances religieuses, mais il était comédien, il était auteur de comédies ; et presque doublement anathématisé par l’église en cette double qualité, quelquefois même désigné particulièrement dans les chaires comme corrupteur de la morale publique, il considérait, non sans raison, les prêtres et tous ceux qui les prenaient docilement pour guides dans la carrière du salut, comme les ennemis de son art, de son établissement, de sa fortune, de son repos même. […] Ce sujet indécent et merveilleux, qui choque à la fois la morale et la vraisemblance, était donné par la fable et consacré par un chef-d’œuvre de l’antiquité.

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