/ 111
100. (1892) Vie de J.-B. P. Molière : Histoire de son théâtre et de sa troupe pp. 2-405

Jean-Jacques Rousseau lui avait été contraire ; l’esprit du philosophe de Genève continuait d’animer ses spectateurs : « Il a manqué à Molière, disait le dramaturge Mercier, que de méditer plus profondément le but moral qui donne un nouveau mérite à l’ouvrage même du génie, et qui, loin de rien dérober à la marche libre de l’écrivain, lui imprime plus de véhémence et d’énergie et lui commande ces impressions majestueuses et bienfaisantes qui agissent sur une nation entière. »Et Mercier, pour joindre l’exemple au précepte, empruntait à Goldoni son II Moliere, le transformait à sa manière, et faisait parler Molière dans son cabinet comme Mercier parle dans ses préfaces et dans ses drames. […] Le dialogue me fit voir comment causaient les honnêtes gens ; la grâce et l’esprit de Dorante m’apprirent qu’il fallait toujours choisir un héros de bon ton ; le sang-froid avec lequel il débite ses faussetés me montra comment il fallait établir un caractère ; la scène où il oublie lui-même le nom supposé qu’il s’est donné m’éclaira sur la bonne plaisanterie ; et celle où il est obligé de se battre par suite de ses mensonges me prouva que toutes les comédies ont besoin d’un but moral. […] Grandes dames, nobles seigneurs, poètes, romanciers, écrivains, avaient formé une sorte de secte qui tendait à exagérer de plus en plus ces doctrines morales et littéraires. […] On s’est trompé, par conséquent, lorsqu’on a prétendu qu’il n’y avait dans L’École des maris ni but moral ni leçon. […] Malgré l’égoïsme et le ridicule du personnage, cette souffrance nous touche presque de compassion, tant elle est réelle : la vérité comique atteint ici les limites suprêmes qu’elle ne doit pas franchir ; elle est poignante, sans cesser d’être plaisante, et elle offre une de ces grandes leçons morales comme on n’en peut recevoir que de la vie elle-même.

/ 111