Chercher le principe de sa morale dans la philosophie d’Épicure, sous prétexte qu’il fut ami de Chapelle et disciple de Gassendi, c’est commettre une erreur non moins grave : quel rapport y a-t-il entre le système d’Épicure et toutes les idées morales de Molière qui font le sujet du présent livre793 ? […] Il faut bien reconnaître qu’en fait de morale effective, qui ne soit point une théorie éphémère acceptée par quelques esprits distingué, mais une règle des mœurs fixe et universelle il n’y a que deux morales : l’une est celle de la religion, qui impose, au nom d’une révélation divine, des préceptes formels, dont l’observation ou la violation entraîne des peines ou des récompenses positivement promises ; l’autre, qui au fond donne les mêmes préceptes, est la morale naturelle, que nous trouvons dans notre nature même, c’est-à-dire dans la constitution de notre être, dans nos instincts, nos désirs et nos passions, dans notre conscience. […] La morale naturelle est celle que chacun peut tirer de soi : morale de création divine comme nous-mêmes, qui existe essentiellement en nous tous, qui dit secrètement au cœur de chacun ce qui est bien ou mal ; lumière universelle, plus ou moins affaiblie çà et là, mais jamais éteinte ; dont les préceptes sont appuyés en chacun par le sentiment, par la raison morale, par l’opinion commune, par l’idée plus ou moins prochaine de Dieu : en un mot naturelle, c’est-à-dire fondée sur la nature que Dieu créateur nous a imposée formellement ; dont les règles immuables sont connues par l’observation de nous-mêmes ; dont la pratique est commandée par le sens moral et la conscience, et dont l’éternelle valeur, en dehors de toute révélation, est corroborée, chez les peuples chrétiens, par l’influence latente et générale du christianisme même sur les esprits qui lui sont en apparence rebelles. […] Ce genre de dénouement n’est ni moral, ni vrai, ni vraisemblable : il est simplement pratique, et s’il est volontiers accepté par le public, c’est parce qu’il répond au désir secret qu’éprouve chacun de voir le bonheur des bons et le châtiment des méchants : il répond à notre sens moral, mais il ne peut aucunement être accepté. comme une sanction morale ; car, au contraire, la morale serait détruite, si chaque bonne ou mauvaise action entraînait immédiatement récompense ou peine ; la liberté disparaîtrait, et l’homme, esclave d’une crainte continue, n’aurait plus d’autre conscience que l’intérêt immédiat et la conservation. […] I, exercit. v, n° 12, la réfutation de ces singulières propositions morales d’Aristote (Eth.