C’est dans un moment si favorable que fut placée la jeunesse de Molière. […] En un moment il a démasqué un traître, insulté un Magistrat, flétri un délateur, calomnié un Sage. […] On verrait quel artifice particulier a présidé à chacun de ses Ouvrages ; avec quelle hardiesse il élève dans les premières Scènes son Comique au plus haut degré, et présente au spectateur un vaste lointain, comme dans L’École des femmes ; comment il se contente quelquefois d’une intrigue simple, afin de ne laisser paraître que les caractères, comme dans Le Misanthrope ; avec quelle adresse il prend son Comique dans les rôles accessoires, ne pouvant le faire naître du rôle principal, c’est l’artifice du Tartuffe ; avec quel art un seul personnage, presque détaché de la Scène, mais animant tout le tableau, forme par un contraste piquant les groupes inimitables du Misanthrope et des Femmes savantes ; avec quelle différence il traite le Comique noble et le Comique bourgeois, et le parti qu’il tire de leur mélange dans Le Bourgeois Gentilhomme ; dans quel moment il offre ses personnages au spectateur, nous montrant Harpagon dans le plus beau moment de sa vie, le jour qu’il marie ses enfants, qu’il se marie lui-même, le jour qu’il donne à dîner. […] Ce fut dans ce moment qu’on attaqua l’Auteur du Misanthrope. […] Ce paysage sur lequel vous avez promené vos yeux, le Peintre qui le considérait avec vous, le retrace sur la toile, et vous ne l’avez vu que dans ce moment.