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157. (1861) Molière (Corneille, Racine et Molière) pp. 309-514

Voyez dans L’Amour médecin ce père qui adore sa fille, qui mourrait si elle mourait, qui pleure comme un enfant en la voyant malade, qui, pour la soigner, fait accourir tous les médecins de Paris, qui lui promet tout, lui offre tout, lui donne tout, mais qui, lorsqu’elle fait signe que sa peine est une peine d’amour, n’entend pas et la quitte brusquement : « Va, fille ingrate, je ne veux plus te parler et je te laisse dans ton obstination. » Cette affection d’un père égoïste, qui aime sa fille pour lui, affection d’autant plus tendre en paroles et abondante en protestations et caresses, d’autant plus prompte à s’alarmer qu’elle est plus égoïste, n’est-ce pas la nature humaine prise sur le fait ? […] Les uns disent que non; les autres disent qu’oui : et moi je dis que oui et non ; d’autant que l’incongruité des humeurs opaques, qui se rencontrent au tempérament naturel des femmes, étant cause que la partie brutale veut toujours prendre empire sur la sensitive, il voit que l’inégalité de leurs opinions dépend du mouvement oblique du cercle de la lune.... etc. » Toutefois, ce n’était encore là qu’un essai timide: la fantaisie comique devait se déployer bien plus à l’aise et bien plus riche dans quelques-unes des dernières pièces de Molière, Le Bourgeois gentilhomme, par exemple, et la dernière de toutes, Le Malade imaginaire, qui se termine par de véritables fusées de folle et d’étourdissante gaîté. […] Il faut réunir tout le théâtre de Molière, considérer à la fois le Tartuffe, Le Misanthrope, l’Amphytrion, Le Festin de Pierre, Le Malade imaginaire, et bien d’autres pièces, si l’on veut jouir de perspectives aussi vastes. […] Dans Andromaque, Racine nous dérobe ce qui fait la joie de la veuve d’Hector; dans Le Malade imaginaire, Molière expose hardiment tout ce qui fait la joie de son héros (je dis la joie, car Argant est un de ces malades qui vivent de leurs maux, et qui mourraient s’ils avaient le malheur de guérir); il nous le présente avec tous les attributs de son état, bonnet de nuit, robe de chambre, chaise longue, drogues et comptes d’apothicaire.

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