Drapé de pourpre, couronné de lauriers, le bâton de commandement à la main, il a l’expression solennelle que prennent les comédiens dans les rôles de ce genre et qu’il leur est bien difficile de ne pas exagérer un peu. […] En costume de Sganarelle, c’est-à-dire sous un accoutrement burlesque, qui tient du Scapin et du Scaramouche, le bonnet à la main, la lèvre charbonnée d’une grosse moustache en parenthèse, il s’avance à la rampe pour haranguer le public. […] C’est un dangereux personnage ; il y en a qui ne vont point sans leurs mains ; mais l’on peut dire de lui qu’il ne va point sans ses yeux ni sans ses oreilles. » Malgré l’intention satirique du morceau, malgré le sens haineux de la phrase finale, où Molière est comparé aux voleurs qu’il faut surveiller, l’original ainsi vu par l’auteur de Zélinde avait tant de relief qu’il a suffi de le crayonner d’une main assez lourde pour tracer un croquis où éclate la vérité. […] Il avait la main ouverte et prêtait facilement de grosses ou de petites sommes aux débiteurs les plus variés, gros personnages, amis, petites gens : l’inventaire dressé après sa mort énumère parmi eux Lulli pour 11, 000 livres ; Mlle de Brie, pour 830 ; Jean Ribou, son libraire, pour 700 ; Beauval et sa femme, pour 110 ; la Ravigote, jardinière de sa maison d’Auteuil, pour autant, etc. […] Le résultat de ses efforts était une justesse d’ensemble, dont Segrais disait : « On a vu par son moyen ce qui ne s’étoit pas encore vu et ce qui ne se verra jamais : c’est une troupe accomplie de comédiens, formée de sa main, dont il étoit l’âme, et qui ne peut avoir de pareille, »Segrais se trompait en partie ; la tradition de Molière devait rester l’Âme d’une troupe qui, survivant à son chef et toujours renouvelée, n’a cessé de la suivre en la rajeunissant.