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27. (1825) Notices des œuvres de Molière (IX) : La Comtesse d’Escarbagnas ; Les Femmes savantes ; Le Malade imaginaire pp. 53-492

Il y a eu depuis Molière, il y a encore aujourd’hui, il y aura toujours des pédantes telles qu’il les a peintes, c’est-à-dire des femmes douées de quelque esprit et ornées de quelques connaissances, mais s’en croyant beaucoup plus qu’elles n’en ont, et brûlant d’en montrer encore plus qu’elles ne s’en croient ; puristes et prudes tout ensemble ; raffinant sur les idées, les sentiments et les expressions ; dédaignant tous les soins d’épouse, de mère et de maîtresse de maison ; méprisant tout ce qui n’est pas de leur coterie, et réservant tout leur enthousiasme pour elles-mêmes d’abord, puis pour quelque petit auteur bien sot, bien vain, bien envieux, qui les flagorne, et qui fonde sur leur engouement l’espoir de sa renommée, souvent même celui de sa fortune. […] Leurs ennemis sont les mêmes : c’est l’altière Philaminte, qui veut disposer de sa fille en faveur d’un autre ; c’est la jalouse Armande, qui seconde les projets de sa mère, afin que Clitandre lui reste ou lui revienne ; c’est le ridicule et odieux Trissotin, qui, ne voyant que la dot, épouserait aussi volontiers l’aînée que la cadette, mais qui est obligé de s’attacher aux volontés toutes puissantes de la mère. […] Clitandre est un jeune gentilhomme, qui n’est pas d’une assez haute naissance pour se mésallier en épousant la fille d’un roturier, et qui a trop peu de bien pour ne pas désirer de faire un riche mariage, mais qui ne fait pas de son nom un trafic, et de sa recherche une spéculation ; qui aime Henriette bien moins pour sa richesse, que pour ses vertus, ses charmes et ses grâces, et qui se montre désintéressé, en offrant de partager sa fortune avec une famille qu’il croit entièrement dépouillée de la sienne : d’ailleurs, plein d’honneur et de loyauté, sensible au mérite parce qu’il en a lui-même, trop naturel pour ne pas être ennemi de l’affectation, et trop franc pour cacher un sentiment qui peut lui nuire, il est le modèle de ces jeunes gens raisonnables sans froid calcul, sensibles sans exaltation romanesque ; et généreux sans faste, comme sans effort, dont je voudrais pouvoir dire que la société abonde, mais que certainement toutes les mères devraient vouloir pour gendres, ainsi que leurs filles pour maris. […] La pédanterie d’Armande est un mélange hypocrite de platonisme et de sensualité ; c’est celle d’une sœur jalouse de sa cadette, qui ne s’est peut-être faite savante que pour complaire à sa mère, maîtresse absolue au logis, et qui est toute prête à sacrifier son horreur pour la matière au désir de rattraper l’amant qui lui échappe. […] Elmire et Béline ont le même titre, mais non pas, il s’en faut, les mêmes sentiments et la même conduite : l’une a une tendresse de mère pour les enfants de son mari ; l’autre n’est qu’une marâtre pour les enfants du sien.

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