Je ne m’excuse point, Messieurs, de cette citation un peu longue : je suis sûr que vous avez plaisir à revoir en passant; cette poésie franche de ton, colorée sans être fardée, vive et enjouée sans afféterie, et où le bon sens devient du génie. […] Le grand d’Aussy, jésuite qui publia d’après les manuscrits, en 1780, un fragment du Jeu de Saint-Nicolas, dénomme aussi cette pièce « une production très longue, encore plus ennuyeuse et d’un genre absurde. […] Pendant que Marie faisait ses oraisons et s’occupait dévotement à lire la prophétie d’Isaïe, plusieurs démons, envoyés par Lucifer, « issirent » de la gueule infernale, pour venir observer celle qui menaçait leur empire ; et d’un autre côté, l’ange Gabriel redescendit de son empyrée, pour admirer la jeune Vierge en prière, à laquelle les démons eux-mêmes rendirent hommage : « Elle est, dirent-ils, plus belle que Lucrèce, plus [p.17] que Sara dévote et sage ; c’est une Judith en courage, une Esther en humilité, et Rachel en honnêteté; en langage est aussi bénine que la Sibylle Tiburtine. » Après diverses autres scènes, qu’il serait trop long de rapporter, on assista aux « épousailles » de Marie et de Joseph : Suave et odorante rose (dit celui-ci) Je sais bien que je suis indigne D’épouser vierge tant bénigne. […] Le sentiment national s’était développé dans la longue guerre contre les Anglais; une simple fille du peuple avait été l’héroïne de la délivrance ; le peuple lui-même, jadis serf, était devenu bourgeois et le beffroy communal tenait le donjon en respect. […] Le vieux monde, fatigué d’une longue route, s’est endormi dans un bois ; Abus s’empare de la scène; il fait sortir successivement des arbres voisins, comme autant de dryades, sot dissolu, sot glorieux, sot corrompu, sot trompeur, qui représentent gens d’église, gens de guerre, gens de justice et marchands, puis sot ignorant et sotte folle.