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16. (1823) Notices des œuvres de Molière (VII) : L’Avare ; George Dandin ; Monsieur de Pourceaugnac ; Les Amants magnifiques pp. 171-571

La plus belle scène de l’ouvrage peut-être, celle du moins où le comique a le plus de force et de profondeur, la scène où le fils d’Harpagon reconnaît dans son père même l’infâme usurier qui travaille à sa ruine, n’appartient pas à Molière : il l’a prise et ne l’a pas prise seule dans La Belle Plaideuse, de Boisrobert, homme à bons mots, mais auteur plus médiocre encore que fécond, qui n’avait sans doute vu qu’une situation propre à exciter le rire, là même où son heureux plagiaire trouva la matière d’une des plus hautes leçons que puisse donner le théâtre. […] La leçon donnée par le poète serait donc incomplète, insuffisante, si l’avare n’avait point d’enfants qu’il pût rendre victimes de ses mauvais traitements, pour devenir victime à son tour de leurs sentiments dénaturés ; et le drame serait invraisemblable, si, l’avare étant père de famille, ses enfants, réduits par lui aux plus dures et aux plus humiliantes privations, n’en étaient pas moins tendres et respectueux. […] C’est une leçon que le monde leur donne quelquefois, et qu’ils n’ont pas besoin de venir chercher au théâtre où elle ne leur profiterait guère : cette leçon, d’ailleurs, ne serait pas une répréhension suffisante d’un désordre qui viole les lois divines et humaines ; et la Muse de la comédie n’a pas caractère pour prêcher en matière aussi grave sur le ton qui conviendrait. […] Il faut en revenir ici aux principes que j’ai rappelés, à l’occasion de L’Avare, sur la fin et les moyens de la comédie, en ce qui regarde la leçon morale. […] Comment le tableau dramatique, qui ne fait que rendre la leçon morale plus frappante et plus persuasive, pourrait-il être nuisible et coupable, quand cette leçon elle-même est salutaire pour ceux qui la reçoivent, et méritoire pour ceux qui la font ?

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