Quoique l’ouvrage n’ait pas de but moral, et ne prétende pas même offrir une peinture de mœurs, on ne peut au moins s’empêcher de voir, dans le petit rôle de Gorgibus, une esquisse fidèle des opinions, des manières et du langage des petits bourgeois de ce temps-là. […] Quant à Sganarelle, c’est un de ces personnages, moitié réels, moitié imaginaires, dont le caractère et le langage sont convenus, ainsi que le nom et le costume, et qui, d’ordinaire, sont plus bouffons que véritablement comiques. […] Des injures un peu grossières et des plaisanteries un peu bouffonnes donnent au langage même de Sganarelle une couleur, pour ainsi dire, scarronesque ; ce qui n’a pas empêché les meilleurs juges, et Voltaire entre autres, de reconnaître que le style du Cocu imaginaire l’emporte de beaucoup sur celui des précédents ouvrages de Molière. […] Sans examiner si les disgrâces des maris sont plus rares ou plus communes qu’elles ne l’étaient autrefois, on peut douter que cet éternel sujet des plaisanteries de nos vieux comiques fût aussi bien reçu aujourd’hui sur la scène, qu’il l’était alors ; et ce qu’il y a de certain, c’est que, dans le langage décent, il n’y a plus de terme pour exprimer ce que Sganarelle croyait être. […] La passion, disons mieux, le travers qui distingue le personnage principal est essentiellement du domaine de la comédie ; et, d’un autre côté, la condition élevée de tous les personnages, et les intérêts politiques dont le jeu se mêle aux mouvements de la jalousie, donnent à l’ensemble de la composition ce caractère de grandeur et de noblesse que, dans le langage de tous les arts, on est convenu d’appeler héroïque.