Qu’il se trouveroit heureux si, dispensé de passer les trois quarts de sa vie dans des recherches & des irrésolutions qui mettent des entraves à son génie & qui l’égarent souvent, il trouvoit, comme les jeunes Artistes, des guides surs, propres à diriger ses premiers pas, à lui indiquer les routes avouées par Thalie, & battues par ses favoris. […] Louis Riccoboni, Auteur & Acteur de la Comédie Italienne, a fait à la vérité des observations excellentes sur la comédie ; mais on m’avouera que les préceptes d’un art aussi compliqué que celui de la comédie, peuvent tout au plus être indiqués dans un ouvrage de trois cents quarante-huit pages, encore le quart est-il consacré à la parodie ; ajoutons à cela que Riccoboni, étant Italien, a dû nécessairement, malgré la justesse de son goût, donner trop souvent la préférence au théâtre de ses compatriotes & à leur maniere. […] il y auroit dévoilé toutes les finesses de son art en grand homme, c’est-à-dire comme il les sentoit ; nous y aurions appris à connoître les détours d’un labyrinthe si compliqué, où les plus grands Maîtres, & l’inimitable Moliere lui-même, se sont égarés : il nous auroit indiqué les fautes qu’il avoit faites avant de connoître la profondeur de son art, & celles qui n’étoient qu’une suite de cette précipitation avec laquelle il étoit quelquefois obligé de travailler ; ainsi ses imperfections mêmes auroient contribué à lui faire des successeurs dignes de lui. […] Il n’est pas douteux, ajouterent-ils, que pour bien louer Moliere il faut indiquer & faire connoître les découvertes heureuses que ce grand homme, guidé par son génie & la justesse de son goût, a faites dans l’art du théâtre. […] Quel seroit mon bonheur si, en faisant remarquer chez lui des beautés dans tous les genres, je pouvois indiquer le moyen de les imiter toutes !