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138. (1886) Molière, l’homme et le comédien (Revue des deux mondes) pp. 796-834

Si donc on essaie de dégager leur commune physionomie morale, on leur trouve beaucoup de tolérance et d’indulgence pour les faiblesses de notre nature, la conviction que la vie est bonne en elle-même et qu’il faut en jouir, la croyance à la légitimité des instincts, tempérée par le sentiment de l’honneur, le sens pratique, le goût de la grosse plaisanterie gauloise, la haine du chimérique et du faux en tout genre, de l’hypocrisie, du pédantisme, de toutes les formes de la sottise et de la fatuité, la passion de la franchise et du naturel. […] Il est donc probable que celle dont il se servait pour faire l’épreuve de ses pièces devait moins cet honneur à l’ancienneté de ses services et à l’affection de son maître qu’à un don de nature pour sentir le comique ; comme tant d’autres choses, Molière l’employait au bien de son art. […] Chaque profession, la plus humble comme la plus noble, la moins classée comme la plus régulière, a son genre de point d’honneur. […] Molière refusa en objectant le point d’honneur ; et Boileau, qui ne comprenait pas, de se récrier. Molière avait raison : le point d’honneur consistait pour lui, non pas, comme disait Boileau, « à se barbouiller le visage d’une moustache de Sganarelle et à recevoir des coups de bâton, » mais à ne pas abandonner la troupe dont il était l’âme, à ne pas lui enlever, en se retirant d’elle, son principal élément de succès.

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