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203. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XI » pp. 89-99

Mais le moyen de faire jouer le rôle d’un céladon à l’homme de France le plus antipathique avec toute affectation, avec tout jargon, avec tout ce qui était hors de la voie droite et nette de la raison et de la vertu ? À l’époque de son mariage, Montausier avait à peine trente-cinq ans ; depuis l’âge de vingt ans, il était au service et engagé dans des guerres successives, en Italie, en Lorraine, en Alsace ; en 1638, parvenu au grade de maréchal de camp, bien qu’âgé seulement de vingt-huit ans, il fut nommé gouverneur de l’Alsace, province alors d’une soumission équivoque, où le roi avait besoin d’un homme qui réunit l’art et le courage du guerrier au tarent et à la sagesse de l’administrateur ; en 1638, il se signala au siège de Brissac ; revenu à Paris pendant l’hiver de 1641, il fut rappelé à l’ouverture de la campagne par Guébriant devenu général en chef de l’armée d’Allemagne et peu après maréchal de France ; le maréchal, qui avait une grande confiance en Montausier, ayant été tué en 1643, celui-ci fut fait prisonnier, peu de temps après, à la déroute de Dillingen ; il ne recouvra la liberté qu’en 1644 ; alors enfin il lui restait encore un obstacle à franchir pour se marier ; c’était sa religion. […] Voiture, l’homme le plus à la mode du temps, le bel esprit le plus accrédité de la cour à l’Académie, le plus répandu chez les femmes de qualité, et le plus recherché des femmes de bel esprit, Voiture, en se rendant une fois, une seule fois au cercle d’une femme qui l’en avait prié, illustrait sa société : cette société se trouvait fondée. […] C’était un homme avec qui il fallait compter, pour qui le roi n’eut toujours des égards infinis et beaucoup de confiance, et monseigneur une déférence totale tant qu’il vécut, et qui bien que peu affligé de sa mort, a conservé toujours pour tout ce qui lui a appartenu, et jusques à ses domestiques, toutes sortes d’égards et d’attentions. » Saint-Simon ajoute à ces graves notions, celle-ci, qui n’est pas sans mérite : « La propreté de M. de Montausier, qui vivait avec une grande splendeur, était redoutable à sa table, où il avait été l’inventeur des grandes cuillers et des grandes fourchettes qu’il mit en usage et à la mode. »

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