Que tout cela soit fort réjouissant, nul n’en disconvient ; mais n’est-il pas funeste pour la morale de forcer, pendant deux heures, l’honnête spectateur à trouver plein de grâce et d’intérêt le plus insigne des voleurs et des fourbes ? […] 240 Mais il importe d’insister sur l’immoralité d’un spectacle où l’intérêt, le charme, la passion sont sans cesse inspirés par des hommes indignes, chez qui l’auteur fait survivre des qualités d’esprit et de cœur inconciliables avec la bassesse de leurs actions, en sorte qu’on leur pardonne leur vice en faveur de leur grâce, de leur sensibilité, de ce reste d’honneur qui leur a été artistement laissé ; elle gai spectacle de leurs succès finit par insinuer doucement au spectateur séduit, que le vice, après tout, n’est pas si noir qu’on le fait. […] En lui, Molière a entrepris de produire le type idéal, quoique humain, de l’homme accompli, Homme d’honneur, d’esprit, de cœur et de conduite 278, à qui ne manque ni la rigide honnêteté d’Alceste ni la grâce de don Juan ; qui unit au raffinement d’esprit et à la politesse qu’offrait la cour de Louis XIV, la solidité du bon sens, la douceur de la charité et l’énergie du devoir279 ; qui devient, en vieillissant, le bon, raisonnable et aimable Cléante du Tartuffe 280.