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15. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE VII. De l’Amour. » pp. 121-144

L’amour, chez eux, ne sera point un entraînement des sens seulement, ni une fantaisie de l’imagination exaltée par quelque circonstance romanesque ; il ne sera pas une affaire de mode, ni un marché d’intérêt, ni une alliance fondée froidement par la raison, non : il sera l’amour, cette inexplicable et toute-puissante attraction d’une âme vers une autre âme, non point nue et abstraite, mais vivante, revêtue d’un corps et d’un sexe, joignant la grâce physique aux charmes de l’esprit et aux caresses du cœur ; enfin ce je ne sais quoi 421, matière infinie des poètes, mystère inexplicable pour Platon, si l’on n’y admet quelque chose de divin422. […] Cet attrait, ce n’est point la grâce du corps qui l’excite : la beauté n’est capable de produire l’amour que parce qu’elle est l’interprète de l’âme qui la vivifie. […] Leur passion sera d’autant plus vive et plus belle, qu’ils seront plus parfaits ; car toute vertu, toute intelligence, toute grâce les rendront plus propres à éprouver et à inspirer l’amour. […] Dieux, princes, bergers, bourgeois, gentilshommes, valets, on en trouve partout sans qu’on songe jamais à s’en plaindre : Célie, Hippolyte, Lucile, Elvire, Isabelle, Agnès, Lucinde, Eliante, Mariane, Elise, Julie, Eriphile, Psyché, Zerbinette, Hyacinthe, Henriette, Angélique, je vous aime, avec vos Lélies, vos Léandres, vos Erastes, vos Valères, vos Horaces, vos Orontes, vos Sostrates, vos Cléontes, vos Octaves, vos Cléantes, et vos Clitandres, doux noms et charmants souvenirs, aimables figures qui venez, au milieu des farces les plus risibles ou des peintures de caractère les plus hardies, apporter la grâce riante de vos jeunes amours ! […] Elle a la bouche grande, mais on y voit des grâces qu’on ne voit point aux autres bouches ; et cette bouche, en la voyant, inspire des désirs, est la plus amoureuse, la plus attrayante du monde.

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