Elle n’avait, dit-il, « aucun trait de beauté ; » mais il confesse que sa physionomie et ses manières la rendaient « très aimable au goût de bien des gens, » que, surtout, elle était « fort touchante quand elle vouloit plaire. » Il nous apprend qu’elle aimait « extrêmement » la parure, et Mlle Poisson ajoute qu’elle « se mettoit dans un goût extraordinaire et d’une manière presque toujours opposée à la mode du temps ; » ce qui l’étonné : elle n’a pas vu qu’Armande possédait cet art piquant et rare de s’habiller elle-même, en dehors et en dépit de la mode, et de donner à sa beauté ce ragoût d’étrangeté dont ceux-là mêmes qui le blâment ou le méconnaissent ne peuvent s’empêcher de subir l’effet. […] Après sa mort, à une époque indéterminée, un grossoyeur de notes et d’anecdotes, de petits papiers et d’extraits de jurnaux, dont le recueil manuscrit est venu jusqu’à nous, le sieur Jean-Nicolas de Tralage, parait-il, s’amusait à dresser un double catalogue des comédiens qui « vivaient bien » et de ceux qui « vivoient mal, » et, parmi ces derniers, il rangeoit « la femme de Molière entretenue à diverses fois par des gens de qualité et séparée de son mari ». […] Un jour, il rêvait tristement dans son jardin, lorsque, selon la Fameuse Comédienne, il reçut la visite de son ami Chapelle, et, « comme il étoit alors dans une de ces plénitudes de cœur si connues par les gens qui ont aimé, » il s’épancha dans une confidence que l’auteur du pamphlet prétend reproduire tout au long et au vrai : Je suis né, disait-il, avec les dernières dispositions à la tendresse ; et, comme j’ai cru que mes efforts pouvoient lui inspirer par l’habitude des sentimens que le temps ne pourrait détruire, je n’ai rien oublié pour y parvenir. […] Vous me direz sans doute qu’il faut être père pour aimer de cette manière ; mais, pour moi, je crois qu’il n’y a qu’une sorte d’amour, et que les gens qui n’ont point senti de semblables délicatesses n’ont jamais véritablement aimé. […] Grimarest donne clairement à entendre que cette affluence de populaire était inoffensive et que, si la veuve en fut épouvantée, c’est qu’elle « ne pouvoit pénétrer son intention. » Dans l’incertitude, Armande employa un moyen infaillible de tourner à la bienveillance déclarée des dispositions douteuses : elle fit répandre par les fenêtres un millier de livres « en priant avec des termes si touchans le peuple amassé de donner des prières à son mari, qu’il n’y eut personne de ces gens-là qui ne priât Dieu de tout son cœur. » Sur la tombe elle fit placer une large pierre, et, deux ou trois ans après, durant un hiver rigoureux, on y alluma par son ordre un grand feu, auquel vinrent se chauffer les pauvres du quartier.