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91. (1910) Rousseau contre Molière

C’est la pièce la plus immorale de Molière, comme, du reste, c’est celle où il a montré, je ne dirai pas le plus de génie, mais certainement le plus de talent. […] —Mais, cependant, il avait du génie ! […] Il avait le génie d’observation et le génie de l’invention comique et le génie de l’habileté comique le plus extraordinaire, littéralement, qui ait jamais paru sur la terre ; il avait même du génie d’intelligence, du génie intellectuel ; mais ici, prenez garde ; il y a un génie d’intelligence qui consiste à penser d’une façon originale ; il y a un génie d’intelligence, honorable encore, qui consiste, comme a dit Nisard excellemment, « à exprimer les idées de tout le monde dans le langage de quelques-uns. » C’est précisément là le génie que Molière, dans l’ordre proprement intellectuel et sans plus parler de son observation, de son invention comique et de son habileté comique, a eu à un très haut degré. […] C’est par les parties les moins délicates de leur génie que les grands écrivains ont prise d’abord sur la foule de leur temps, ensuite, quoiqu’un peu moins, sur la foule des siècles suivants. […] La vérité est que l’homme de sens commun, qui est homme de génie, a précisément pour génie de mettre le sens commun en chefs- d’œuvre ; mais c’est ce qui ne peut pas être compris ni admis par le penseur original.

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