Un autre travers de ces derniers temps, né du triomphe même de notre révolution : un désir immodéré, une sorte de passion d’indépendance qui s’était emparée d’un bon nombre d’individus, lui fournit le sujet d’une comédie piquante, dont lé succès ne répondit pas au mérite de l’ouvrage, par la, raison qu’il relevait trop bien peut-être le ridicule d’un sentiment honorable poussé jusqu’à l’exagération. […] Il y a, ce nous semble, d’autant plus de nécessité à le faire, que de nos jours encore des hommes très haut placés dans la littérature ne craignent pas de déclarer impuissante et usée la poétique suivie par Molière et d’appeler de tous leurs vœux « un système dramatique nouveau, dont Shakespeare peut seul fournir les plans d’après lesquels le génie doit travailler; où le mouvement de notre esprit ne soit plus resserré dans l’étroit espace de quelque événement de famille ou dans les agitations d’une passion purement personnelle ; système large, profond, approprié à l’état actuel de la société, où la distinction tyrannique des genres n’existe plus ; où le sérieux et le plaisant, le rire et les pleurs, ainsi que dans la vie réelle, se trouvent incessamment confondus; où l’homme enfin se montre tout entier, et provoque toute notre sympathie. » Il est assez curieux de remarquer ; d’abord, qu’en voulant affranchir les auteurs de toute espèce de joug, la poétique nouvelle leur en imposerait un bien plus pénible à coup sûr, bien plus difficile que l’ancien, celui qui les contraindrait, dans le même ouvrage, à faire rire et pleurer alternativement. […] Mais cette passion de Tartuffe, qui est un ressort si puissant, qui jette tant d’intérêt dans la pièce, qui fournit à l’auteur le seul moyen peut-être de tirer Orgon de son fatal aveuglement, cette passion, Molière l’a-t-il donnée à son hypocrite aux dépens de la vérité ? […] Ainsi, par exemple, il n’eût pas suffi d’avoir fait d’Orgon un de ces dévots entêtés seulement, comme le sont la plupart des fanatiques, il le fallait opiniâtre au point de ne pouvoir être désabusé sur le compte de Tartuffe que par les preuves évidentes, matérielles, irrésistibles que lui fournit Elmire.