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114. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Orgon à Tartuffe ; il faut maintenant que la victime se protège et se défende elle-même, dans les formes : le ministre n’y peut rien Heureusement, Alceste a du cœur ; il est éloquent comme Mirabeau ; il parle aux juges et il est écouté ; il arrache à ce vil faussaire le billet qui ruinait Philinte ; il sauve Philinte de sa ruine, et lui-même il se sauve de la prison. […] En même temps, comme chacun de ces personnages parle le langage qu’il doit parler, comme la comédie conserve tous ses droits d’un bout à l’autre de la pièce, en dépit de Voltaire lui-même qui prétend y retrouver le ton et la forme de la satire ! […] Si vous admettez que tout écrivain en ce monde, pourvu qu’il parle sa langue et qu’il obéisse à ce code inviolable, la grammaire, a le droit de créer son propre style, de faire la langue qu’il écrit ou qu’il parle, où trouverez-vous un style plus ingénieux, une forme plus nouvelle ? […] Voilà comment, et voilà pourquoi, lorsque tant d’œuvres qui, dans la forme et dans le fonds, semblaient plus vivantes et plus françaises, ont disparu de nos théâtres, lorsque Le Méchant du poète Gresset n’est plus qu’un chef-d’œuvre à mettre en nos musées littéraires, lorsque La Métromanie, une merveille, à peine reparaît tous les vingt ans, la comédie de Marivaux a conservé son charme, en dépit de tant d’exils, de révolutions, de changements, après l’Empire et son bruit belliqueux, après la Révolution et son bruit d’échafauds. […] Méfiez-vous de cette abondance stérile et de ce naturel du terre à terre, et songez, quand vous écrivez, non pas au lecteur de rencontre, qui vous lit au hasard, en attendant sa Belle ou l’ouverture de la Bourse, mais au lecteur honnête homme, amoureux de la forme et bon juge du style ; à cet homme dont la voix compte, et dont le jugement est un arrêt, il faut plaire avant de plaire à tout autre ; il faut qu’il vous estime et qu’il vous aime ; il faut qu’il croie en votre esprit, qu’il se fie à votre goût et qu’il honore votre bon sens.

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