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15. (1730) Poquelin (Dictionnaire historique, 4e éd.) [graphies originales] pp. 787-790

Pour ne rien dissimuler, j’avertis ici mon Lecteur, que si l’on en croit d’autres Ecrivains, Moliere n’eut pas la force d’assister à la représentation jusques à la fin ; il falut l’emporter chez lui avant que toute la Piece eût été jouée. […] Il semble même qu’à l’égard de ces pensées, & de ces fines railleries à quoi tous les Siecles & tous les Peuples polis sont sensibles, il soit plus fécond qu’Aristophane, & que Terence. […] Montrez aux Dames d’esprit certaines pensées d’Horace, d’Ovide, de Juvenal, &c. ; montrez-les leur en vieux Gaulois ; faites-en la Traduction la plus plate qu’il vous plaira, pourvu qu’elle soit fidelle, vous verrez que ces Dames conviendront que ces pensées sont belles, délicates, fines. […] C’est blâmer Moliere de ce qu’il a travaillé non seulement pour les esprits fins, & de bon goût, mais aussi pour les gens grossiers. […] Il faut donc qu’elle soit proportionnée au goût du public, c’est-à-dire, qu’elle soit capable d’attirer beaucoup de monde ; car sans cela, ne fût-elle qu’un elixir de pensées rares, ingénieuses, fines au souverain point, elle ruïneroit les Acteurs, & ne serviroit de rien au peuple.

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