Nous n’accepterons pas ces mauvais discours sur Elmire ; mais je la prendrai dans la scène capitale où les commentateurs la vantent, celle où elle met Orgon sous la table pour écouter la déclaration de Tartuffe ; elle le fait avec un sang-froid que les soldats n’ont sous le feu que quand ils ont déjà assisté à plus d’une bataille. […] Au milieu des fêtes splendides de Versailles données en l’honneur de mademoiselle de la Vallière, qui en était secrètement l’héroïne ; il y eut trois journées de réjouissances, de feux d’artifices, de pièces mythologiques, de ballets où tout ce qu’il y avait de brillant à la cour et le roi lui-même parurent travestis ; et c’est après ces longs enchantements que la toile se leva sur le théâtre de Molière, et qu’on vit paraître le bonhomme Orgon avec ses maximes tristes, et son engouement trivial pour Tartuffe, sa femme bâillant et ennuyée et sa maison sens dessus dessous. […] Ce spectre qui est le moteur principal, cette statue du commandeur qui vient souper chez Dom Juan, qui l’emmène souper avec lui et l’entraîne au feu de l’Enfer, tout cela ne se combinait pas d’une manière aisément acceptable avec l’élément comique. […] C’est de cet usage que sont nés ces singuliers chevaliers dont le théâtre de Dancourt est rempli ; c’est de cet usage que sont nés aussi tous ces petits abbés du xviiie siècle, qui, après que les roués de la Régence eurent mis l’athéisme et le libertinage à la mode, ne pouvaient pas faire un souper sans blasphémer, et dont Gilbert s’est si violemment moqué dans sa Satire du xviiie siècle, où, en parlant d’un de ces derniers, il a dit : Dans un cercle brillant de nymphes fortunées, Entends ce jeune abbé, sophiste bel esprit ; Monsieur fait le procès au Dieu qui le nourrit, Monsieur trouve plaisants les feux du purgatoire ; Et, pour mieux amuser son galant auditoire, Mêle aux tendres propos des blasphèmes charmants, Lui prêche de l’amour les doux égarements, Traite la piété d’aveugle fanatisme, Et donne, en se jouant, des leçons d’athéisme. […] Au-dessus de nos têtes, entre eux et moi, une muse flottait, invisible et transparente sous son éther, semant le feu poétique qui allume les âmes et qui les transporte ou les tient au niveau des hauts et profonds poètes ou des poètes dégagés, qui nous met à l’unisson de leurs grandes paroles, de leurs jeux et de leurs ris, qui nous fait créer à nouveau les belles œuvres dans les moments que nous les lisons, les sentons et les expliquons. » ……………………………………………………………………… G.