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54. (1769) Éloge de Molière pp. 1-35

C’est la représentation naïve d’une action plaisante, où le Poète, sous l’apparence d’un arrangement facile et naturel, cache les combinaisons les plus profondes, fait marcher de front d’une manière comique le développement de son sujet et celui de ses caractères mis dans tout leur jour par leur mélange et par leur contraste avec les situations, promenant le spectateur de surprise en surprise, lui donnant beaucoup et lui promettant davantage, faisant servir chaque incident, quelquefois chaque mot, à nouer ou à dénouer, produisant avec un seul moyen plusieurs effets tous préparés et non prévus, jusqu’à ce qu’enfin le dénouement décèle par ses résultats une utilité morale, et laisse voir le Philosophe caché derrière le Poète. […] Mais ni Regnard, toujours bon plaisant, toujours comique par son style, souvent par la situation dans ses Pièces privées de moralité ; ni Dancourt, soutenant par un dialogue vif, facile et gai une intrigue agréable, quoique licencieuse gratuitement ; ni Dufréni, toujours plein d’esprit, Philosophe dans les détails, très peu dans l’ensemble, faisant sortir son comique ou du mélange de plusieurs caractères inférieurs, ou du jeu de deux passions contrariées l’une par l’autre dans le même personnage ; ni quelques Auteurs célèbres par un ou deux bons Ouvrages dans le genre où Molière en a tant donné : rien n’a dédommagé la Nation, forcée enfin d’apprécier ce grand homme, en voyant sa place vacante pendant un siècle.

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