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106. (1910) Rousseau contre Molière

Philinte dans Molière n’est pas un égoïste, je crois l’avoir démontré ; c’est un homme, et voilà une grande différence, qui dit à un autre : « Soyez donc un peu plus égoïste que vous n’êtes. » Mais, parce que Fabre l’a vu, d’une part, à travers l’Optimiste de Collin d’Harleville, délicieux, mais qu’il est si facile de tourner en caricature, et, d’autre part, à travers la magnifique page de Jean-Jacques Rousseau : « C’est un de ces hommes qui… ». […] Cela, très certainement, lui était plus facile avec d’autres pièces du même auteur et puisqu’il y en avait d’autres… Il est possible même que Rousseau n’ait pas pris Don Juan très au sérieux, Don Juan, pièce tirée de l’espagnol, très vite mise sur pieds pour les besoins, alors très pressants, du théâtre et à laquelle Molière n’avait pas attaché sans doute une très grande importance. […] Comme il est indéniable qu’il y a un esprit de malice ou tout au moins une absence de charité à la racine de toute satire et de toute comédie satirique, il n’est pas si facile de démêler, si, peignant des sots victimes de fripons, le poète, si dur pour les sots, n’est pas — mettons inconsciemment — un peu du côté des scélérats, Vous ne me nierez point que sa devise ne soit : Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs. […] Ajoutez le vieil anticléricalisme français, la vieille irréligion nationale et le public se disant pêle-mêle de Tartuffe et d’Orgon : « Tous ces gens-là sont dévots » et les enveloppant dans une moquerie confuse et presque impartiale ; et il devient facile de comprendre pourquoi, si Don Juan a été froidement reçu, Tartuffe l’a été avec un grand applaudissement. […] Contre eux, il y a la satire, qui est une dénonciation avec noms propres imprimés ou faciles à lire entre les lignes ; il y a la religion, le sermon, aptes, sinon à effrayer les criminels, du moins à arrêter ceux qui s’engagent sur la voie du crime ; enfin et surtout, il y a la loi.

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