/ 146
142. (1914) En lisant Molière : l’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

On peut être étonné et sourire de quelques expressions un peu hasardées : Un souris charge de douceurs Qui tend les bras à tout le monde. […] De l’autre, qu’on connaît, la traitable méthode Aux faiblesses d’un peintre aisément s’accommode ; La paresse de l’huile, allant avec lenteur, Du plus tardif génie attend la pesanteur : Elle sait secourir, par le temps qu’elle donne, Les faux pas que peut faire un pinceau qui tâtonne ; Et sur celle peinture on peut, pour faire mieux, Revenir quand on veut, avec de nouveaux yeux. […] Mais la fresque est pressante, et veut, sans complaisance, Qu’un peintre s’accommode à son impatience, La traite à sa manière, et d’un travail soudain Saisisse le moment qu’elle donne à sa main : La sévère rigueur de ce moment qui passe Aux erreurs d’un pinceau ne fait aucune grâce ; Avec elle il n’est point de retour à tenter, Et tout au premier coup se doit exécuter ; Elle veut un esprit où se rencontre unie La pleine connaissance avec le grand génie, Secouru d’une main propre à le seconder Et maîtresse de l’art jusqu’à le gourmander, Une main prompte à suivre un beau feu qui la guide, Et dont, comme un éclair, la justesse rapide Répande dans ses fonds, à grands traits non tâtés, De ses expressions les touchantes beautés. […] Or, il ne l’emploie qu’un peu et si c’eût été une faute énorme que de le lui faire ‘employer constamment, il est admirable au contraire que Molière se soit arrangé de manière que quelques expressions de la langue de l’amour divin se glissassent dans le discours par où Tartuffe déclare son amour terrestre. […] Elle est la franchise même dans l’expression de ses sentiments ; elle a le cynisme de l’ingénuité et de l’innocence et l’insensibilité d’une force de la nature à l’égard du mal qu’elle fait à celui qu’elle n’aime pas.

/ 146