Ceci dit pour poursuivre la nuance et pour être juste, puisque la vérité est dans les nuances, revenons et disons qu’en son ensemble et en sa couleur générale Molière est l’homme du bon sens moyen, l’homme de pensée impersonnelle, qui pense ce que tout le monde pense,-, ou qui se résigne à ne penser que cela et qui, si tant est qu’il s’y résigne, se trouve assez à l’aise dans cette résignation. […] Oui, je ne pus souffrir d’abord de les voir si bien ensemble ; le dépit alarma mes désirs et je me figurai un plaisir extrême à pouvoir troubler leur intelligence et rompre cet attachement dont la délicatesse de mon cœur se tenait offensé… » Voilà qui s’entend : le bonheur des autres offense Don Juan et l’amour chez lui commence par la jalousie, c’est-à-dire par la haine du bonheur des autres, et il éprouve et d’avance un plaisir extrême à désespérer un être qui aime et probablement deux. […] Il ne s’est jamais dit, avec La Rochefoucauld, que les hommes ne pourraient pas vivre un jour ensemble s’ils n’étaient pas dupes les uns des autres, et que le monde n’est qu’un composé déminés et que, sous peine de ne pas être, il ne peut pas être autre chose. […] Harpagon a un trésor chez lui, qu’il couve et sur lequel il veille comme un oiseau sur ses petits ; Harpagon est usurier et prête à la petite semaine ; Harpagon lésine sur sa nourriture, sur la nourriture de ses gens et sur celle de ses chevaux ; il a des calendriers particuliers où il fait doubler les Quatre-Temps et les Vigiles pour faire jeûner plus souvent son monde ; il chasse ses valets un peu avant le premier jour de Fan pour ne pas leur donner d’étrennes ; il fait assigner le chat de son voisin pour lui avoir dérobé un reste de gigot ; enfin mille traits d’avarice sont ramassés sur lui qui ne concordent pas tous très bien ensemble et qui, en tout cas, donnent plutôt l’idée d’un assemblage industrieusement fait que d’un être respirant et se mouvant7.