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66. (1881) La philosophie de Molière (Revue des deux mondes) pp. 323-362

Dans ce sermon dont on ne sait pas exactement la date, mais qui ne doit pas être très éloignée de la représentation publique de Tartuffe, c’est-à-dire dans les environs de 1669, Bourdaloue a pris pour sujet l’hypocrisie ; mais avec une habileté qui témoigne qu’il appartient bien à son ordre, au lieu de prendre à partie, comme on s’y attendait, l’hypocrisie elle-même, il trouva moyen de parler contre ceux qui l’attaquent : « Au lieu d’employer mon zèle, dit-il, à combattre l’hypocrisie, j’entreprends de combattre ceux qui raisonnent sur le sujet de l’hypocrisie, ou en tirent de malignes conséquences, ou en reçoivent de fausses impressions, ou s’en forment de fausses idées au préjudice de la vraie piété. » Développant ces trois idées, Bourdaloue distingue trois sortes de personnes dans le christianisme : « les mondains et les libertins », qui en sont les ennemis déclarés ; « les chrétiens lâches », qui ont peur de professer leur foi ; et « les ignorants et les simples », qui se laissent séduire. […] En voulant faire face à la fois et aux libertins, dont Molière était le soi-disant interprète, et aux jansénistes, qui étaient placés à un point de vue tout opposé et qui étaient aussi ennemis de Molière que les jésuites eux-mêmes, Bourdaloue risquait d’affaiblir l’effet cherché. […] Nous ne savons si Molière a fait le calcul que nous lui prêtons ; mais, s’il l’a fait, ce calcul ne lui réussit pas beaucoup ; et Don Juan, bien loin de désarmer les ennemis du Tartuffe, leur fournit de nouvelles armes. […] Il a voulu flageller sinon l’athéisme, du moins l’impiété, l’audace sacrilège qui voit dans le ciel un ennemi, qui le frappe, qui l’insulte, qui veut se jouer de lui. […] Philinte fut pour lui comme un ennemi personnel qui rabattait ses prétentions à la vertu et sa fastueuse misanthropie.

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