Mais, de même que certaines gens font de fort belle prose sans y songer, certains ouvrages, sans avoir été écrits dans un but moral, ont plus que d’autres une influence sur les mœurs, et peuvent insinuer lentement dans le monde, d’une manière presque invisible, mais irrésistible, des éléments de moralité ou de corruption ; il y a des auteurs qui, sans être des moralistes proprement dits, méritent pourtant d’être étudiés comme tels, à cause de leur puissance observatrice, de leur sens droit, de leur popularité, enfin à cause du caractère universel et supérieur de leur génie. […] Il est encore plus éloigné d’employer pour la flatter et pour la séduire le jargon de la dévotion ; ce n’est point par habitude qu’il le parle, mais avec dessein, et selon qu’il lui est utile, et jamais quand il ne servirait qu’à le rendre très-ridicule… Il ne s’insinue jamais dans une famille où se trouvent tout à la fois une fille à pourvoir et un fils à établir : il y a là des droits trop forts et trop inviolables ; on ne les traverse point sans faire de l’éclat, et il l’appréhende ; sans qu’une pareille entreprise vienne aux oreilles du prince, à qui il dérobe sa marche, par la crainte qu’il a d’être découvert et de paroître ce qu’il est. » La Bruyère, Les Caractères, De la Mode.