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92. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

un avare forcé de donner à souper, un dévot qui cherche à séduire une femme mariée, voilà des objets éminemment comiques, parce qu’il y a disproportion entre les idées des personnages et ce qu’on leur voit faire, entre leur caractère connu et la situation où ils se trouvent. […] Un faux dévot, dit-il, ne joue pas à la ligne directe ; il ne s’insinue jamais dans une famille où il y a tout à la fois une fille à pourvoir et un fils à établir ; il y a là des droits trop forts et trop inviolables, etc. […] De même qu’il s’est laissé duper à des affectations niaises d’allures dévotes, il est encore pris cette fois à un piège si grossier que personne ne s’y tromperait. […] Tartuffe a donc fait ces avances avec l’élégance leste d’un homme du monde en même temps qu’avec l’onction pénétrée d’un dévot, et il faut qu’Elmire le prenne sur un ton de joli badinage, sans émotion, en femme qui sait bien où l’on veut en venir, mais qui sait aussi qu’elle arrêtera les choses d’un mot quand il lui plaira. […] Quand l’acteur arrive au fameux vers : « C’est un homme qui… », il semble chercher une épithète assez forte pour caractériser un dévot aussi admirable ; il ne peut venir à bout d’en trouver ; il répète deux fois « un homme… un homme… » avec le ton d’une admiration passionnée qui n’a point de mots pour s’exprimer dignement ; puis, prenant son parti et changeant soudain de voix, comme si le mot homme résumait toutes les qualités qu’il veut faire entendre : un homme, enfin, ajoute-t-il, c’est-à-dire : un vrai homme, là, ce qu’on appelle un homme ; pas un bout d’homme, un avorton d’homme, mais un homme véritable, un Homme enfin !

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