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25. (1874) Leçon d’ouverture du cours de littérature française. Introduction au théâtre de Molière pp. 3-35

Vous avez tous, Messieurs, récité ces vers si précis, si bien frappés et qui, comme tous ceux du même poète, une fois entrés dans la mémoire, n’en peuvent plus guère sortir : Chez nos dévots aïeux, le théâtre abhorré Fut longtemps dans la France un plaisir ignoré. […] Écoutons Boileau : Le savoir, à la fin, dissipant l’ignorance, Fit voir de ce projet la dévote imprudence. […] A la vérité, on se trouverait d’accord ainsi avec un ancien critique, qui n’a connu ni « le théâtre » de Hroswitha, ni les Vierges sages et les Vierges folles, ni les Epîtres farcies ; il en coûtera peut-être quelque chose à notre amour-propre d’avoir édité tant de vieux textes, pour n’arriver qu’à répéter avec Boileau, que « le théâtre fut longtemps, chez nos dévots aïeux, un plaisir ignoré. » Toutefois, Messieurs, je n’y vois pas grand mal et, quand les idées reçues ont du bon, je trouve assez sage de s’y tenir. […] Pendant que Marie faisait ses oraisons et s’occupait dévotement à lire la prophétie d’Isaïe, plusieurs démons, envoyés par Lucifer, « issirent » de la gueule infernale, pour venir observer celle qui menaçait leur empire ; et d’un autre côté, l’ange Gabriel redescendit de son empyrée, pour admirer la jeune Vierge en prière, à laquelle les démons eux-mêmes rendirent hommage : « Elle est, dirent-ils, plus belle que Lucrèce, plus [p.17] que Sara dévote et sage ; c’est une Judith en courage, une Esther en humilité, et Rachel en honnêteté; en langage est aussi bénine que la Sibylle Tiburtine. » Après diverses autres scènes, qu’il serait trop long de rapporter, on assista aux « épousailles » de Marie et de Joseph : Suave et odorante rose (dit celui-ci) Je sais bien que je suis indigne D’épouser vierge tant bénigne.

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