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94. (1825) Notices des œuvres de Molière (IX) : La Comtesse d’Escarbagnas ; Les Femmes savantes ; Le Malade imaginaire pp. 53-492

Admirons, en nous résumant, dans quelles erreurs étranges peut tomber un homme, d’ailleurs plein de lumières et de bonne foi, quand la prévention lui a mis son bandeau sur les yeux. […] Clitandre est un jeune gentilhomme, qui n’est pas d’une assez haute naissance pour se mésallier en épousant la fille d’un roturier, et qui a trop peu de bien pour ne pas désirer de faire un riche mariage, mais qui ne fait pas de son nom un trafic, et de sa recherche une spéculation ; qui aime Henriette bien moins pour sa richesse, que pour ses vertus, ses charmes et ses grâces, et qui se montre désintéressé, en offrant de partager sa fortune avec une famille qu’il croit entièrement dépouillée de la sienne : d’ailleurs, plein d’honneur et de loyauté, sensible au mérite parce qu’il en a lui-même, trop naturel pour ne pas être ennemi de l’affectation, et trop franc pour cacher un sentiment qui peut lui nuire, il est le modèle de ces jeunes gens raisonnables sans froid calcul, sensibles sans exaltation romanesque ; et généreux sans faste, comme sans effort, dont je voudrais pouvoir dire que la société abonde, mais que certainement toutes les mères devraient vouloir pour gendres, ainsi que leurs filles pour maris. […] On peut, d’ailleurs, opposer à cette saillie d’un personnage imaginaire ce que dit Molière lui-même, dans la préface du Tartuffe : « La médecine est un art profitable, et chacun la révère comme une des plus excellentes choses que nous ayons. »Le seul rôle de Béralde prouve, mais prouve invinciblement que Molière, à l’époque du moins où il écrivit Le Malade imaginaire, n’avait aucune foi à la médecine, Béralde, l’homme raisonnable de la pièce, comme Cléante l’est dans Le Tartuffe ; Béralde, par la bouche de qui Molière attaque la manie d’Argan, comme il combat celle d’Orgon par l’organe de ce même Cléante, Béralde dit, comme l’athée don Juan, et en outrant même le mépris de ses expressions : « La médecine est une des plus grandes folies qui soient parmi les hommes ; et, à regarder les choses en philosophe, je ne vois point de plus plaisante momerie, je ne vois rien de plus ridicule qu’un homme qui veut se mêler d’en guérir un autre. »Ajoutons que la longue et vive argumentation de Béralde contre la médecine ne va point directement au sujet ; que l’important pour lui est de prouver à Argan, son frère, non pas qu’il aurait tort de se confier à la médecine, s’il était malade, mais qu’il fait mal de s’y livrer, puisqu’il se porte bien. […] D’ailleurs, Cotin ne l’avait pas avouée, et il avait même voulu donner le change au public, en en faisant une censure assez vive dans sa Critique désintéressée.

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