Elle ouvre aux jeunes gens une voie que nous ne croyons pas être la bonne; et l’on aurait peut-être à craindre pour l’avenir du théâtre, s’ils continuaient de s’y engager. […] Il y a, ce nous semble, d’autant plus de nécessité à le faire, que de nos jours encore des hommes très haut placés dans la littérature ne craignent pas de déclarer impuissante et usée la poétique suivie par Molière et d’appeler de tous leurs vœux « un système dramatique nouveau, dont Shakespeare peut seul fournir les plans d’après lesquels le génie doit travailler; où le mouvement de notre esprit ne soit plus resserré dans l’étroit espace de quelque événement de famille ou dans les agitations d’une passion purement personnelle ; système large, profond, approprié à l’état actuel de la société, où la distinction tyrannique des genres n’existe plus ; où le sérieux et le plaisant, le rire et les pleurs, ainsi que dans la vie réelle, se trouvent incessamment confondus; où l’homme enfin se montre tout entier, et provoque toute notre sympathie. » Il est assez curieux de remarquer ; d’abord, qu’en voulant affranchir les auteurs de toute espèce de joug, la poétique nouvelle leur en imposerait un bien plus pénible à coup sûr, bien plus difficile que l’ancien, celui qui les contraindrait, dans le même ouvrage, à faire rire et pleurer alternativement. […] En effet, j’observe que ces gens si paisibles sur les injustices publiques sont toujours ceux qui font le plus de bruit au moindre tort qu’on leur fait, et qu’ils ne gardent leur philosophie qu’aussi longtemps qu’ils n’en ont pas besoin pour eux-mêmes. » C’est d’après cette donnée que Fabre d’Églantine a composé un ouvrage qu’il n’a pas craint d’intituler Le Philinte de Molière, bien qu’il ne soit en réalité que le Philinte de Rousseau. […] On le voit donc, connaissant Elmire pour une femme réservée, d’une sagesse pleine de douceur et de modération, par conséquent bien assuré d’avance de la trouver indulgente et discrète, Tartuffe, sans rien craindre et sans se compromettre, pouvait lui faire l’aveu de sa passion. […] Il doit faire valoir certaines expressions en les détachant ou les marquant d’une inflexion particulière, et s’arrêter un moment après les avoir prononcées, de façon à ce qu’elles puissent impressionner plus profondément celle qu’il veut convaincre et suborner : Votre honneur avec moi ne court point de hasard, Et n’a nulle disgrâce à craindre de ma part.