Ménage, qu’on trouve toujours prenant le parti de Molière, quoiqu’il ait eu plus d’une fois à se plaindre de lui, Ménage ne craignit pas de déclarer à M. de Lamoignon que Le Tartuffe était une pièce dont la morale était excellente , et qu’elle ne contenait rien dont le public ne pût faire grandement son profit. […] À la vérité, on trouve dans Horace cette peinture d’un faux dévot de l’ancienne Rome : « Cet homme vertueux sur qui tous les yeux sont attachés, soit dans les places publiques, soit dans les tribunaux, toutes les fois qu’il apaise les dieux par le sacrifice d’un porc ou d’un bœuf, ne manque pas d’élever la voix en invoquant Apollon ou Janus ; puis, marmottant tout bas en homme qui craint d’être entendu : Belle Laverne, dit-il, accordez-moi la grâce de duper tous les yeux, de passer pour un homme juste, irréprochable ; enveloppez mes fraudes d’une nuit profonde, couvrez mes fourberies d’un nuage favorable. » À ces traits, il est difficile de méconnaître l’hypocrisie religieuse, l’hypocrisie de dévotion. […] Un fourbe, lors même qu’il est seul, continue de composer son air, son maintien, son langage, comme s’il craignait que d’invisibles témoins ne surprissent le secret de sa perversité. […] Mais que le monologue insipide où Mercure raconte tout ce qu’on va voir et entendre, comme s’il craignait qu’on n’y prît trop d’intérêt et de plaisir, lui ait semblé supérieur au charmant dialogue de Mercure et de la Nuit, qui prépare au merveilleux de l’action, sans la faire connaître ; surtout que le jeu du double moi lui ait paru plus ingénieux dans Plaute qui l’indique à peine, que dans Molière qui en a tiré un si grand parti d’après Rotrou, voilà de ces erreurs que Boileau ne pouvait commettre, et qu’il y aurait une témérité presque sacrilège à lui imputer sur la périlleuse parole d’un auteur d’ana. […] Il nous a montré des hommes qui craignaient cette disgrâce sans l’éprouver ; d’autres qui l’eussent éprouvée inévitablement s’ils s’y fussent exposés ; d’autres, enfin, qui, l’ayant affrontée, la méritaient, la redoutaient et la subissaient peut-être, mais dont le sort au moins n’avait rien d’avéré, rien de positif.