Ils s’entretenaient de Tartuffe, au portrait duquel ils donnaient le dernier coup de pinceau, et ils achevaient de prouver que les dévots, non contents de leurs pieuses grimaces, ne s’insinuaient dans les maisons que pour s’enquérir des affaires les plus secrètes, mettre la discorde entre le père et les enfants, et devenir peu à peu les tyrans des familles. […] La foule, irritée de voir maltraiter son idole, se précipite sur l’agresseur ; elle est sur le point de le mettre en pièces ; mais l’hypocrite se jette au-devant de lui comme s’il voulait parer les coups ; il le relève, il le console, il le couvre d’embrassements ; et, s’adressant au peuple : « Je suis le méchant, s’écrie-t-il, je suis le pécheur, je suis celui qui n’a jamais rien fait d’agréable aux yeux de Dieu. […] Tartuffe se croit dévot ; s’il déposait tout à coup le masque devant Elmire, et qu’il lui tînt le langage d’un petit maître ou d’un libertin, cet aveu seul de son hypocrisie l’humilierait aux yeux de celle qu’il veut séduire ; mais c’est comme dévot qu’il veut plaire, c’est par sa profession même qu’il essaie de faire taire les scrupules d’une femme bien née qui hésite entre ses devoirs et ses passions ; il lui promet De l’amour sans scandale et du plaisir sans peur. […] C’est un coup de maître d’avoir mis sa fausse dévotion aux prises avec son libertinage ; et c’est de l’amour criminel de Tartuffe, comme de l’amour brûlant du misanthrope, que jaillissent les scènes les plus admirables et les développements de passions les plus sublimes auxquels le génie se soit jamais élevé.