L’amour, chez eux, ne sera point un entraînement des sens seulement, ni une fantaisie de l’imagination exaltée par quelque circonstance romanesque ; il ne sera pas une affaire de mode, ni un marché d’intérêt, ni une alliance fondée froidement par la raison, non : il sera l’amour, cette inexplicable et toute-puissante attraction d’une âme vers une autre âme, non point nue et abstraite, mais vivante, revêtue d’un corps et d’un sexe, joignant la grâce physique aux charmes de l’esprit et aux caresses du cœur ; enfin ce je ne sais quoi 421, matière infinie des poètes, mystère inexplicable pour Platon, si l’on n’y admet quelque chose de divin422. […] Et donc, l’amour est d’abord un mouvement naturel ; mais, par le mot de nature, gardons-nous de comprendre les excitations instinctives du corps ou de l’imagination, faites pour être dominées et non obéies : il veut dire ici cette nature humaine en laquelle Cicéron ajustement affirmé qu’il faut chercher la source de la conduite et du devoir, parce que c’est une nature essentiellement raisonnable 424. […] Cet attrait, ce n’est point la grâce du corps qui l’excite : la beauté n’est capable de produire l’amour que parce qu’elle est l’interprète de l’âme qui la vivifie. […] Il est beau d’avoir conçu cette idée élevée d’un sentiment qui peut tomber si bas ; il est bien d’avoir exprimé que ce sentiment est une passion de l’âme, non un appétit du corps ; il est glorieux d’avoir montré sur la scène, dans des situations souvent délicates, le caractère chaste et spiritualiste de l’amour, quand tant d’auteurs ont cherché et cherchent encore le succès dans son étalage tout matériel, quand tant de critiques se prosternent devant la peinture corruptrice de ce qu’ils appellent l’amour physique. […] Boileau, Satire X, v. 533. — On alliait très-bien la débauche avec le quiétisme précieux : Tout ce que le corps fait ne se compte pour rien ; Ce corps n’est qu’une aveugle et sensible matière, Qu’un amas agité de boue et de poussière, Dont tous les mouvements, que la cupidité Produit sans la raison et sans la volonté, Sont actes sans aveu, sans malice, sans blâme, Et ne peuvent salir la pureté de l’âme, Qui, jouissant an ciel de solides plaisirs, Laisse vivre le corps an gré de ses désirs.