Je ne dirai point du tout que si Molière avait fait d’Alceste un personnage inébranlable aux coups qui le frappent et sensible seulement aux vices dont il est témoin, il n’aurait pu que prêcher tout le temps, faire des sermons continuels et aurait été un personnage de théâtre fort ennuyeux ; je ne dirai point cela, quoique victorieusement incontestable, parce que Rousseau aurait toute prête une très bonne réponse : « Alors ne mettez pas le misanthrope sur le théâtre ; choisissez des sujets qui soient susceptibles de comique et non des sujets qui n’en sont susceptibles qu’à la condition qu’on les dégrade. » Mais je dirai, ce qui a beaucoup plus d’importance, que le personnage de Molière est vrai et le personnage que rêve Rousseau est faux ; et que si le personnage de Molière est vrai, l’on n’est plus en droit de dire que Molière la fait tel pour faire rire : il l’a fait tel parce qu’il peint les hommes. […] qu’une femme demoiselle est une étrange affaire et que mon mariage est une leçon bien parlante à tous les paysans qui veulent s’élever au-dessus de leur condition et s’allier, comme j’ai fait, à la maison d’un gentilhomme ! […] Il définit la comédie « l’ouvrage dramatique qui peint les mœurs des hommes dans une condition privée ». […] Je puis citer en exemple de cela la petite pièce de Nanine qui a fait murmurer l’assemblée et ne s’est soutenue que par la grande réputation de l’auteur, et cela parce que l’honneur, la vertu, les purs sentiments de la nature y sont préférés à l’impertinent préjugé des conditions. » Ainsi : « L’homme est né bon ; la source de l’intérêt qui nous attache à ce qui est honnête est en nous et non dans les pièces ; l’amour du beau moral est un sentiment aussi naturel que l’amour de soi-même ; il ne nait point d’un arrangement de scènes. […] Sens commun et sens social, c’est la même chose, absolument la même chose, tautologiquement ; et le sens commun ne diffère du sens social qu’en ce qu’il est le sens social sans le savoir, le sens social instinctif ; et le sens social ne diffère du sens commun qu’en ce qu’il est le sens commun ayant pris conscience de lui-même et s’étant dit qu’il est la condition même de l’union sociale et le fondement naturel qu’elle a, ou le sacrifice qu’il faut qu’on lui fasse.