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125. (1747) Notices des pièces de Molière (1666-1669) [Histoire du théâtre français, tome X] pp. -419

En effet, il y a peu de choses plus attachantes qu’un homme qui hait le genre humain, dont il a éprouvé les noirceurs, et qui est entouré de flatteurs, dont la complaisance servile fait un contraste avec son inflexibilité ; cette façon de traiter le Misanthrope est la plus commune, la plus naturelle, et la plus susceptible du genre comique ; celle dont Molière l’a traité est bien plus délicate et, fournissant moins, exigeait beaucoup d’art ; il s’est fait à lui-même un sujet stérile, privé d’action, et vide d’intérêt ; son Misanthrope hait les hommes encore plus par humeur que par raison ; il n’y a d’intrigue dans la pièce que ce qu’il en faut pour faire sortir les caractères, mais peut-être pas assez pour attacher : en récompense tous les caractères ont une force, une vérité et une finesse que jamais auteur comique n’a connu avant lui. […] Molière l’employa vraisemblablement à composer ses premiers ouvrages ; la Béjart, comédienne de campagne, attendait, ainsi que lui, pour exercer son talent, un temps plus favorable ; il lui rendit des soins, et bientôt liés par les mêmes sentiments, leurs intérêts furent communs ; ils formèrent de concert une troupe, et partirent pour Lyon en 1653a. […] Le poète français a non seulement exposé sur la scène les vices et les ridicules communs à tous les âges et à tous les pays, il les a peints encore avec des traits tellement propres à sa nation que ses comédies peuvent être regardées comme l’histoire des mœurs, des modes et du goût de son siècle ; avantage qui distinguera toujours Molière de tous les auteurs comiques. […] « [*]Quoique dans tous les temps l’expérience ait montré que la disproportion des conditions et des fortunes, la différence d’humeur, et d’éducation, sont des sources intarissables de discorde entre deux personnes que l’intérêt d’une part, et de l’autre la vanité, engagent à s’épouser ; cet abus n’en est pas moins commun dans la société : Molière entreprit de le corriger. […] Un petit livre, dont je tire, Tout ce qu’ici je viens d’écrire*, Se tait des décorations, Dans ses belles narrations : Mais aux fastes du grand monarque, Pour l’ordinaire l’on remarque, Que ce font des enchantements, Et non de communs ornements.

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