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208. (1886) Molière, l’homme et le comédien (Revue des deux mondes) pp. 796-834

Il avait un autre ami intime, le physicien Rohault, et à tous deux « il se livrait sans réserve. » Avec les autres, il était « civil et honorable dans toutes ses actions, » dit Chappuzeau, « parfaitement honnête homme, » ajoute La Grange, qui s’y connaissait, « d’une droiture de cœur inviolable, » répète Grimarest, sur le témoignage de Baron. […] Nous avons déjà vu les éloges que La Grange, Chappuzeau et Grimarest donnent à ses qualités de cœur ; Grimarest confirme les siens par une quantité d’anecdotes dont plusieurs peuvent être apocryphes, mais dont le plus grand nombre est vraisemblable ou concorde avec d’autres preuves. […] Ainsi, le poète aurait bien vite éprouvé lui-même la douleur qu’il consolait chez autrui, et, à l’éloquence désespérée avec laquelle, six ans plus tard, sans nécessité dramatique, il fait parler une infortune semblable à la sienne, on devine la blessure toujours saignante qu’il avait gardée au cœur. […] J’aime la vie tranquille ; et la mienne est agitée par une infinité de détails communs et turbulents, sur lesquels je n’avais pas compté, et auxquels il faut absolument que je me donne tout entier malgré moi. » Un autre jour, consulté par un jeune homme qui voulait se faire comédien, il l’en détournait avec force : « Notre profession, disait-il, est la dernière ressource de ceux qui ne sauraient mieux faire, ou des libertins qui veulent se soustraire au travail. » Il lui remontrait donc que, monter sur le théâtre, ce serait « enfoncer le poignard dans le cœur de ses parents, » que lui-même « s’étoit toujours reproché d’avoir donné ce déplaisir à sa famille, » que, « si c’étoit à recommencer, il ne choisirait jamais cette profession, » car ses agréments sont trompeurs, elle n’est qu’un triste esclavage aux plaisirs des grands, le monde regarde les comédiens comme des gens perdus, etc. […] VII Si j’ai retracé avec quelque détail l’existence théâtrale de Molière, ce n’est pas seulement pour prouver combien son métier lui tenait à cœur et marquer de la sorte un trait de son caractère.

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