/ 82
22. (1886) Molière, l’homme et le comédien (Revue des deux mondes) pp. 796-834

D’abord Chapelle, l’incorrigible épicurien, qui l’emmène, naturellement, dans un des nombreux cabarets où lui-même a ses hantises, A la Croix de Lorraine, avec le comte de Lignon, l’abbé du Broussin, des Barreaux, plusieurs autres ; et l’on boit si bien qu’à la sortie, entre chien et loup, on chante en chœur, Molière plus fort que les autres, car il est « en goguettes. » Cette liaison dura longtemps, très cordiale de part et d’autre. Molière eut bien à se défendre contre un accès de vanité de Chapelle, qui allait répétant que lui, Chapelle, avait fait le meilleur des Fâcheux ; il dut souvent chapitrer son ami, pour lequel les parties de débauche n’étaient point des accidens, mais une règle de conduite. Malgré tout, il n’y eut entre eux ni brouille ni refroidissement : lorsque Chapelle quittait Paris pour aller passer quelques jours chez des amis de campagne, il envoyait à Molière d’excellents pâtés, fabriqués exprès pour lui ; dans l’occasion, il se montrait sérieux et de bon conseil : c’est à Chapelle que le mari d’Armande confie ses peines ; c’est Chapelle qui décide les deux époux, quelque temps séparés, à reprendre la vie commune. […] Si l’on demande aux faits positifs des preuves de cet état moral, on n’a que l’embarras du choix : son goût pour Lucrèce qu’il traduit, sa longue amitié avec Chapelle, ses relations avec le sceptique La Mothe le Vayer et l’incrédule des Barreaux. […] D’abord, il semble résulter d’une lettre de Chapelle qu’à son arrivée à Paris Molière entretenait un commerce galant avec une de ses comédiennes, Mlle Menou, et qu’il excitait par là de vives jalousies dans la troupe.

/ 82