— sans songer que ce Don Juan était sa plus vivante création ; que ce Don Juan sceptique allait remplir tout le xviiie siècle ; que ce Don Juan amoureux allait devenir le type élégant et licencieux de toute la nation de Shakespeare, et aussi que Mozart, d’un côté, lord Byron d’autre part, et la jeunesse de notre siècle, éperdue, hors de sa voie, impuissante à reproduire même ses rêves, n’auraient pas d’autre héros que Don Juan. […] C’est ainsi que d’un chêne centenaire, l’honneur des forêts, les fabricants d’allumettes vous fabriquent toutes sortes de petits morceaux de bois soufrés qui jetteront, chacun de son côté, sa petite lueur d’un instant. — Non, certes, toute la traduction de Thomas Corneille, ce n’est plus là le Don Juan amoureux, intrépide, grand seigneur, foulant d’un pied hardi et dédaigneux toutes les lois divines et humaines ; non, certes, ce n’est plus le hardi sceptique qui brise l’autel du dieu, ne pouvant pas renverser le trône du roi. […] Lui-même, le roi-soleil, le plus roi des rois, disait Leibnitz, en habit d’émeraudes et de perles, il lui fallait se défendre contre tant de jeunes gens, ses rivaux légitimes, chargés de représenter à ses côtés les héros du poème et les dieux de l’Olympe : Lycée, Yolas, Alceste, Télamon et le berger Endymion dans sa grotte du mont Lathmos. […] Mathurine, de son côté, est sauvée par Sganarelle… Séducteur malencontreux, ce Don Juan ! […] De grâce, ne séparons pas ce que Molière a réuni, laissons le rire à côté des larmes, la pitié non loin de l’ironie.