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18. (1824) Notice sur le Tartuffe pp. 91-146

Ce fut alors que Molière présenta au roi un premier placet, où il sollicitait la permission de faire représenter son ouvrage en public ; il invoquait cette faveur comme le seul moyen qu’il eût de répondre à ses ennemis ; car il est à remarquer que sa comédie n’était pas connue de la plupart des gens qui la condamnaient au feu ; les méchants y supposaient des abominations, sur lesquelles renchérissait encore la crédulité publique, et qui, s’exagérant sans cesse en passant de bouche eu bouche, avaient fini par alarmer les gens de bonne foi et jusqu’aux hommes vraiment pieux. […] Molière, pour fermer la bouche à ses ennemis qui l’accusaient d’être un esprit fort, un impie, un athée, reconnut qu’il devait faire une profession de foi solennelle de ses principes religieux ; il voulut fermer la bouche à ses calomniateurs, et se préparer à la lutte terrible qu’il était sur le point de soutenir. […] Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l’hypocrisie est un vice privilégié qui de sa main ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. […] Il parle passablement français ; il traduit assez bien l’italien, et ne copie pas mal les auteurs, car il ne se pique pas d’avoir le don de l’invention, ni le beau génie de la poésie ; ce qui fait rire en sa bouche fait souvent pitié sur le papier, et l’on peut dire que ses comédies ressemblent à ces femmes qui font peur en déshabillé, et qui ne laissent pas de plaire quand elles sont ajustées, ou à ces petites tailles qui, ayant quitté leurs patins, ne sont plus qu’une partie d’elles-mêmes. […] Signalons ici ce passage qui fait tache dans les œuvres d’un grand homme, et qui est si odieux dans la bouche d’un prélat.

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