Supposons pour un moment qu’on nous livre les vices de toutes les professions : supposons que leurs travers, leurs ridicules ne soient pas trop bas pour la bonne comédie : supposons qu’ils soient à la portée de tout le monde : supposons que ceux de chaque profession puissent fournir le comique nécessaire pour une comédie : ce grand fonds, ce fonds immense, se bornera à une comédie par profession, encore faudra-t-il ne pas compter toutes celles qui ont déja été livrées aux coups de la Muse comique. […] Avec cette intention louable nous ne donnerons pas à notre héros une grande perruque, un air bas ; nous ne le ferons pas commencer sa carriere par la conciergerie de la porte de Guibrai ; il n’aura pas été laquais comme M. […] Turcaret se pique du fol orgueil d’avoir pour maîtresse une femme de condition qui le joue, le hait, le méprise, le pille, & le trompe pour un chevalier ; lorsqu’il envoie un billet au porteur, excellent, & de fort mauvais vers à sa maîtresse ; lorsqu’il veut faire jetter sa maison trente fois à bas pour la faire construire de façon qu’il n’y manque pas un Iota, & qu’il ne soit pas sifflé de ses confreres ; lorsqu’il prétend être connoisseur en musique parcequ’il est abonné à l’Opéra ; lorsqu’il admet à sa table un Poëte qui ne dit rien, mais qui mange & pense beaucoup ; lorsqu’il vend des emplois ; lorsqu’il en donne aux rivaux qui l’embarrassent ; lorsqu’à la priere de sa maîtresse il fait un commis de ce laquais naïf qui prie la dame de se servir toujours du même rouge, afin de plaire à son protecteur, & ne pas le mettre dans le cas d’être révoqué ; lorsqu’il refuse de payer à sa femme une modique pension & qu’il se ruine pour une fripponne à laquelle il donne pour dix mille francs de porcelaines, un carrosse, une maison de campagne, &c.