Il est beau d’avoir conçu cette idée élevée d’un sentiment qui peut tomber si bas ; il est bien d’avoir exprimé que ce sentiment est une passion de l’âme, non un appétit du corps ; il est glorieux d’avoir montré sur la scène, dans des situations souvent délicates, le caractère chaste et spiritualiste de l’amour, quand tant d’auteurs ont cherché et cherchent encore le succès dans son étalage tout matériel, quand tant de critiques se prosternent devant la peinture corruptrice de ce qu’ils appellent l’amour physique. […] Après avoir rappelé les amants à un langage naturel comme l’amour, il donna, mieux que tous les autres auteurs du siècle, l’exemple de cette langue douce et touchante qui va droit au cœur parce qu’elle en exprime les vrais sentiments. […] Le spectateur, fatigué de rire, s’y repose avec une émotion délicieuse ; et l’auteur sait quelquefois, par la simplicité du style et la vérité de la passion, faire parler à l’amour un langage digne de Corneille : CLITANDRE. […] Quand on repense à la fausseté et à l’indécence des amours applaudis sur tant de théâtres, à la corruption insinuée chaque jour au peuple par tant de romans pleins de passions hors nature, à la gloire acquise par tant d’auteurs au moyen des théories d’amour les plus brutales et des peintures d’amour les plus lubriques, on reconnaît que Molière a rendu service à la morale en présentant sans cesse le spectacle, conforme à la nature et à la raison, d’amours jeunes, joyeux et honnêtes. […] Dans l’auteur original (Maria de Zayas, Nouvelles, la Précaution inutile ; voir la traduction de Scarron dans ses Nouvelles tragi-comiques), l’Agnès, n’apprend d’un amant brutal que la pratique sensuelle du plaisir, et reste aussi sotte après qu’avant.